La fondation du village de Thériot en Louisiane
Par Robert Thériot, traduit de l’anglais par Guy Thériault
En 1839, Michel Éloi Thériot (Pierre, Joseph, Jean, Germain, Claude, Jehan) fonde un établissement qui deviendra éventuellement un important domaine sucrier dans la paroisse de Terrebonne, au sud de la Louisiane. Sur une concession de terre reçue du gouvernement américain, Michel Éloi, appuyé par son épouse, Marie Séraphine Thibodeaux, établit une communauté permanente à 11 milles au sud-est de Houma sur les rives du bayou DuLarge. C’est la première plantation sur le bayou : elle s’étend sur environ 4 000 acres sur les rives est et ouest, dont 300 sont cultivées. Michel Éloi les avaient payés 1,25 $ l’acre à la suite de la proclamation du président des États-Unis en date du 19 juillet 1833. C’est avec dévouement, énergie et détermination que cette famille pionnière défriche cette terre sauvage qu’était le bayou DuLarge et entraîne plusieurs autres familles à s’établir dans ce qui est aujourd’hui le village de Thériot en Louisiane.
Michel Éloi est né le 6 juillet 1795 à Convent, paroisse de Saint-Jacques, en Louisiane. Il est le quatrième enfant de Pierre Terrio, qui était le premier Thériot né en Louisiane plutôt qu’en Acadie (maintenant la province de Nouvelle-Écosse, au Canada) comme ses ancêtres. À l’âge de 19 ans, Michel combat au service des États-Unis à la bataille de la NouvelleOrléans pendant la Guerre de 1812 et aussi dans la Guerre contre le Mexique. Il ne faut donc pas s’étonner de son courage et de sa détermination dans ses diverses entreprises non seulement dans son jeune âge, mais aussi plus tard comme planteur et fondateur.
À son retour de la bataille de la Nouvelle-Orléans, Michel Éloi part de Convent pour s’établir au passage Lafourche dans la paroisse du même nom. C’est là qu’il rencontre Marie Séraphine qu’il épouse le 15 juin 1819 à Plattenville, paroisse de l’Assomption, en Louisiane, lors d’une cérémonie célébrant le même jour le mariage de 22 couples à la résidence de Mme Émile Toups. Ils retournent ensuite au passage Lafourche où nait leur premier enfant Michel Éloi dès le 7 mai 1820. D’ailleurs, leurs 11 premiers enfants naissent au passage Lafourche. Ils auront 14 enfants : neuf fils et cinq filles. Notons en passant que leur douzième enfant, né le 11 octobre 1841, Aurélien, est non seulement le premier enfant né dans la plantation, mais aussi le premier blanc né au bayou DuLarge. Leur sixième enfant, Augustin Armilien, est l’ancêtre de la branche des Thériot dont je suis issu; il était le père de mon trisaïeul.
Vingt ans plus tard, le passage Lafourche, qui était devenu une petite plantation, était surpeuplé par la parenté de Michel Éloi. Au lieu de rivaliser pour ces petites parcelles de terre, le couple choisit de partir. En 1839, Michel Éloi et sa famille se réinstallent dans la paroisse de Terrebonne pour y fonder l’établissement qui deviendra le village de Thériot, en Louisiane. Les membres de cette communauté sont encore aujourd’hui « tricotés serré » et demeurent de fervents catholiques.
On ne sait pas exactement comment le couple est arrivé au bayou DuLarge. Il existe cependant deux théories. Selon l’une, le couple serait venu par ce que l’on appelle aujourd’hui le ca na l Marmande, qui, selon certains, reliait alors le bayou Lafourche au site de leur plantation originelle. Curieusement, le canal Marmande a été creusé à la pelle à une période ultérieure pour relier le bayou Provost au lac Thériot. La référence au canal Marmande à cette période aurait donc indiqué le bayou Provost. La seconde théorie voudrait que le couple ait tiré partie d’une grande sécheresse pour conduire leurs chars à bœuf sur des plaines raboteuses et piétinées par des bisons sauvages que l’on trouvait encore occasionnellement dans le sud de la Louisiane. Quoi qu’il en soit, l’aventure ne fit pas obstacle à la détermination de Michel Éloi de fonder un nouvel établissement à Terrebonne. Par son arrivée au bayou DuLarge, la famille fondatrice avait prouvé sa volonté farouche non seulement d’améliorer la vie de ses membres, mais encore celle de générations à venir.
Par son dur labeur, Michel Éloi a gagné l’estime de ses concitoyens : pendant plusieurs années, il a servi comme président du jury de police de la paroisse de Terrebonne. Pendant que Michel Éloi jouait un rôle de plus en plus important dans le développement économique de Terrebonne, Marie Séraphine élevait ses enfants sur le site de la propriété pionnière.
Le couple a investi dans l’éducation privée de leurs 14 enfants; l’enseignement de la foi catholique était important de même que l’étude de l’anglais et du français. Contrairement à d’autres Acadiens traditionnalistes, Michel Éloi croyait qu’une bonne éducation était essentielle au succès futur de ses enfants.
Depuis l’établissement de Michel Éloi jusqu’à son décès le 3 mai 1861, son domaine a prospéré grâce à l’industrie sucrière et la famille fondatrice était considérée comme fortunée. La canne à sucre était la principale récolte des 300 acres cultivées. Michel Éloi avait besoin d’esclaves africains pour faire la récolte de ses grandes cultures; au moment de son décès, il y avait 53 esclaves sur sa plantation qui s’adonnaient aux travaux domestiques et agricoles.
L’établissement était installé directement derrière les levées naturelles du bayou DuLarge. Grâce à ses talents de maître artisan, Michel Éloi a pu construire une belle demeure sise hors d’atteinte des hautes eaux à la saison des pluies. Il a aussi improvisé des ponts faits de planches taillées à la main à partir des cyprès géants de la plantation et qui ont joué un rôle essentiel dans la vie de Saint-Éloi puisque la propriété s’étendait sur les deux rives du bayou DuLarge. Il est intéressant de noter que Saint Éloi était le patron des artisans et travailleurs du bois; c’était donc une appellation appropriée pour le domaine que la famille pionnière a fondé au village de Thériot en Louisiane.
Le dévouement de Michel Éloi envers sa famille et sa riche et fertile exploitation sur le bayou lui a permis de convaincre d’autres colons de venir s’établir au bayou Dularge pour former la communauté étroitement liée qui survit encore aujourd’hui. Pendant les 22 ans qu’il a vécu au bayou DuLarge (1839-1861), Michel Éloi est devenu l’un des plus riches planteurs de Terrebonne. Malheureusement, son décès devait entraîner le déclin de son domaine.
Le 3 mai 1861, Michel Éloi est tombé malade, est décédé, puis fut inhumé dans sa plantation. Vingt-sept jours après sa mort, une commission de la cour du 3e District judiciaire de la paroisse de Terrebonne fit l’inventaire et l’évaluation de sa succession. La propriété passa alors aux mains de Félix, son onzième enfant, tel que prescrit par son testament. La valeur de la propriété était de 119 415,01 1/3 $.
Malheureusement, trois mois plus tard, la législature de la Louisiane vote en faveur de la sécession de l’Union et se joint à la Confédération des États américains. En 1862, les troupes de l’Union envahissent la Louisiane, et pour la première fois depuis Michel Éloi, un Thériot doit participer à la défense de son pays. Augustave, le dixième enfant et Aurélien, le douzième enfant, servent tous les deux d a n s l e s r é g i m e n t s d’infanterie de la Louisiane, les 18e et 26e respectivement. Pour célébrer l’heureux retour de ses deux fils, Marie Séraphine fit ériger en 1873 la première église catholique sur le bayou DuLarge; celle-ci fut nommée Saint-Éloi et les restes de Michel Éloi furent transférés au cimetière de cette église.
La victoire de l’Union entraîna des difficultés économiques sérieuses pour la plupart des propriétaires de plantation de la Louisiane et du Sud. La veuve Marie Séraphine survécut 16 ans à Michel Éloi et mourut en 1877. Ce qui restait du domaine fut vendu aux enchères deux ans plus tard en 1879 pour environ 29 000 $. Il ne restait sur ce domaine anciennement prospère que les terres, quelques vieilles habitations et les possessions personnelles des habitants. Tout le bétail, le matériel aratoire et les esclaves étaient partis, bien que la plupart des esclaves fussent demeurés sur le bayou comme métayers.
Toutefois, des liens familiaux forts et un profond sens communautaire survivront pendant longtemps. La famille pionnière avait défriché le marécage qu’était le bayou DuLarge avec un dévouement, une énergie et une détermination admirables; elle avait ainsi entraîné beaucoup d’autres familles à s’établir dans ce qui est aujourd’hui le village de Thériot, en Louisiane. Cet esprit survit encore de nos jours; j’en vois encore la preuve chaque jour dans le grand soutien que mes enfants reçoivent de toute la parenté. La confiance, le dévouement et surtout la détermination de Michel Éloi constituent son plus bel héritage aux générations futures de Thériot.